Les Donneurs, Joliette (Québec) le 4 novembre 2011

Lecture par Gaëtan Brulotte sur le thème de la Tendresse

Lecture en 3 minutes du romancier japonais et prix Nobel de littérature, Yanusari Kawabata, Les Belles endormies (Albin Michel-Hachette, Livre de poche, 1970), p. 12-13, 26,36.
Ce roman est une profonde réflexion sur le désir, la beauté, et une initiation à la tendresse dans un cadre très inhabituel, celui d'une maison close strictement réservée à des vieillards qui ont perdu leur virilité, et à qui on permet de dormir sous somnifère auprès de jeunes femmes elles-mêmes endormies sous l'effet d'un puissant narcotique.
On pénètre dans ce lieu étrange par le vieil Eguchi, le héros, dont c'est la première expérience avec les Belles endormies. Il a 67 ans.

EXTRAITS LUS
"Devant la beauté imprévue de la fille, le vieil homme eut le souffle coupé. Sa beauté n'était pas la seule chose imprévue. Sa jeunesse l'était tout autant. Elle lui faisait face, étendue sur le côté gauche, le visage seul découvert; son corps était invisible, mais sans doute n'avait-elle pas vingt ans encore. Dans la poitrine d'Eguchi, ce fut comme si un coeur nouveau déployait ses ailes.(…)
"Tu dors? Tu ne te réveilles pas?"
Le vieil Eguchi avait dit cela comme pour se donner le prétexte de toucher (sa) main, puis il la serra tout entière dans sa paume, et il essaya de la secouer légèrement. Que la fille ne s'éveillerait pas, il le savait bien. Toujours serrant la main, Eguchi regarda le visage, se demandant quelle sorte de fille ce pouvait être. Les sourcils n'étaient pas abîmés par les fards et les cils joints étaient parfaits. Il respirait l'odeur des cheveux. (…)
La différence entre Eguchi et les autres vieillards tenait sans doute au fait qu'il lui restait encore de quoi se comporter en homme. Pour les autres vieillards, il était indispensable que la fille fût plongée dans un sommeil sans fond. Le vieil Eguchi, par deux fois déjà, et sans insister du reste, avait tenté de la réveiller. A supposer qu'elle eût contre toute attente ouvert les yeux, il ne savait pas lui-même quelles eussent été ses intentions à son égard, et pourtant il avait agi par tendresse pour la fille. (.…)
Eguchi en était venu à considérer que jamais, au cours des soixante-sept ans de son existence, il n'avait passé nuit aussi chaste avec une femme. Il en avait été ainsi dès l'instant de son réveil, le lendemain matin. Le somnifère semblait avoir agi, car il s'était réveillé à huit heures, bien plus tard que d'ordinaire. Le corps du vieil homme ne touchait la fille en aucun point. Dans sa chaleur juvénile et son odeur agréable, le réveil avait eu la douceur de l'enfance. (…)
Il éprouvait de la tendresse pour la fille, un sentiment enfantin submergea son coeur, comme s'il avait été lui-même l'objet de sa tendresse à elle…"